Futur Proche - Chapitre 2

"Et quel nom on imprimera à la tête de ton livre ou l'on gravera sur ta tombe ? Est-ce que tu liras ton épitaphe ?" (Denis Diderot)

J’ai toujours eu l’habitude d’aller dans les cimetières pour vider mon esprit. Ils sont calmes et verts. Ça permet d'oublier un peu la ville, et c'était exactement ce dont j'avais besoin. En surveillant bien les épitaphes on peut tomber sur des perles : «Au moins j’emmerde plus personne ! » «Merci pour les fleurs»... Ce jour là, je découvris dans un coin que je ne visitais jamais, un très joli : «Enfin, le silence» qui convenait parfaitement à la situation. Je pouvais enfin penser à tête reposée aux derniers événements survenus. Et j’avais de quoi faire.

Mais ce n'est pas une épitaphe qui attira mon attention à ce moment là. Une fille, mignonne comme tout et d’à peu près mon âge, prenait le soleil près d’une tombe. Un jean large et un haut de maillot lui allaient à ravir. Allongée sur un transat à côté d’une dalle assez classique («ci-gît Arthur Ripley, 1963-2007»). Des lunettes de soleil sur le nez, elle somnolait à côté d’un poste jouant tout doucement «No woman, no cry». Apparemment, j’avais le chic pour me retrouver dans des situations plutôt surréalistes. Avec ma finesse habituelle, je lui lançai :
_Il reste une place ?
_Assieds-toi dans l’herbe ! Me répondit-elle comme si elle m’attendait. J’espère que t’es pas dérangé par la fumée…

D'habitude c'est moi le plus à l'aise, mais là j'étais surpris. Mais je décidai de m'asseoir comme si de rien n'était
_Pas du tout, tu viens souvent ici ?
_Dès que j’ai du temps libre me dit-elle en commençant à rouler un joint.
Décidément, la jeunesse actuelle…

On discuta deux bonnes heures. Elle s’appelait Emma et venait passer du temps avec son père, mort quelques années auparavant. Elle pensait que la meilleure manière de lui montrer qu’elle l’aimait était de venir le voir, tout simplement. Il était mort assassiné par balle, sans mobile précis. On n’avait jamais retrouvé le tueur. Au bout de six mois, sa mère s’était remariée avec un homme qui la battait parfois et malgré le mensonge par omission je pense que la belle Emma avait aussi le droit à sa dose de violence occasionnelle.
Je lui proposai de venir boire un verre chez moi, ce qu’elle accepta volontiers, et on discuta une bonne heure encore en vidant plusieurs bouteilles. Elle m’apprit qu’elle vivait plus souvent dans la rue que chez elle, qu’elle enchaînait les petits boulots histoire de survivre, et que si elle trouvait un jour l’homme qui avait tué son père, elle commettrait son premier meurtre. Ce genre de petites confidences qui nécessitent plus d'alcool qu'un basique "c'est moi qui pisse dans les plantes depuis 6 mois". Moi des personnes j’en avais tuées pas mal, pour différentes raisons, et je ne pensais pas qu’elle en soit capable, mais ça, je le gardais pour moi. Je lui proposai de dormir chez moi, ce qu’elle à quoi elle répondit par un silence et le même regard malicieux que tous ceux que je lui lançais depuis le début de la conversation ! Bien entendu, je n’avais qu’un lit deux places où l’on ne fit pas que dormir…

╚═══════════════════════════╗

Pour changer du téléphone, et tout aussi agréable, ce fut la sonnette qui me réveilla. Le facteur m’apportait un colis. L’heure à laquelle on s’était couchés et l’état dans lequel je me trouvais m’obligèrent à poser le colis sur la table et à retourner me coucher ! Emma (que je commençais à soupçonner de prendre de l’E.P.O.), en pleine forme, sauta du lit et s’habilla.
_Tu vas où ?
_Mon beau-père va gueuler si je rentre trop tard, on se voit ce soir ?
_Ben, ok mais…
_A sept heures au cimetière, bisous !
_Bisous… La porte avait déjà claqué.

Comme je n’arrivais pas à me rendormir, je me levai et allai jeter un coup d’œil à mon colis. Les voisins entendirent sûrement les insanités que je criai en lisant le nom de Stéphane Torrent sur le colis ! Je l’ouvris à toute vitesse et découvris trois CD ROM ainsi qu’une feuille sur laquelle était écrit :

Voici trois CD ROM contenant des documents sur un homme très important. Je crois que ma curiosité est allée un peu trop loin cette fois-ci, du coup c’est peut-être le dernier service que je te demande : mets-ça en lieu sûr, c'est important, je te fais confiance là-dessus. Mec, on a bien tripé ensemble.
Ton poto
Stéphane