Futur Proche - Chapitre 4

"Le présent serait plein de tous les avenirs, si le passé n'y projetait déjà une histoire." (André Gide)

_Je suppose que les flics t’ont appris.
_Je vais t’apprendre une chose, aussi. Le prochain à crever, c’est toi !
_Tu dis ça parce que t'es énervé, Sofian. Tu ne sais ni qui je suis, ni où je suis… (J’entends des bruits de voitures qui résonnent un peu derrière, cet enculé doit m’appeler d’une cabine !)
_Eh, l’italien, t’es bien dans ta cabine ? (Le mec déglutit, j’ai vu juste).
_On sait où tu habites petit !
_Ok, j'ai les documents ! Vous voulez quoi ?
A ce moment précis me vient une idée, absurde à première vue. Je vais sur mon balcon et braque mon flingue comme pour me faire exploser le citron. (Action)
_QU’EST-CE QUE TU FOUS, BORDEL ? (Réaction)
_Je te prouve que je suis pas le plus con de nous deux !
Je raccroche et cours dans les escaliers. Lorsque je franchis la porte, j’aperçois un type  en train de courir vers une limousine. Je fonce vers lui. Je suis à une vingtaine de mètres quand la voiture démarre. Je note dans un coin de ma tête le numéro de la plaque d’immatriculation, puis m’assoie sur le trottoir, essoufflé.

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Comme il me restait trois heures avant mon rendez-vous avec Emma, j’en profitai pour jeter un œil à ces CD ROM, qui étaient quand même au centre de tout ça !

Ce que m’apprirent ces CD méritait effectivement, du point de vue d’un méchant, de se débarasser de quelques gentils. Un certain Abdel BOUZALFA, PDG d’une fabrique de raviolis, avait trouvé un créneau en or : tous ces messieurs de la Mafia italienne cherchaient depuis un bon moment comment faire disparaître certains corps gênants. Les fleuves étaient pleins et le béton commençait sérieusement à manquer. Alors il y a vingt ans de ça, ce cher BOUZALFA s’était dit que le fait de les mettre en boîtes lui permettrait de doubler sa production à moindre coût. Depuis, ses usines de raviolis y mettaient du bœuf le jour et du témoin gênant la nuit.
Au fur et à mesure, le bouche à oreille faisant office de publicité, les plus hauts placés de la grande famille avaient fait appel à ses soins.
Des noms de personnalités, de politiques, de bandits et de policiers figuraient sur ces CD. En effet Stéphane, ta curiosité avait été bien loin cette fois-ci. Le tout accompagné de preuves accablantes et de photos de ces messieurs. Les deux Gigaoctets d’héritage que m’avait laissé mon ami permettaient de résoudre un bon nombre d’affaires "classées".

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A sept heures moins le quart, je me dirigeais donc vers mon rendez-vous en faisant un détour par chez mon ami Jean DAGUIA (Webbs pour les intimes). J’avais aidé à arrêter ce hacker fan de basket quatre ans auparavant car il avait piraté les ordinateurs de la Cent pour des infos qu’il devait revendre à un truand. Comme tout bon hacker ayant atteint son objectif (il n'avait pas pu vendre les infos, mais il avait réussi à pénetrer l'espace du réseau qu'il visait juste avant qu'on l'arrête), il était resté souriant tout le long de son procès, fier de lui. Il avait fait ses six mois de prison ferme et avait recommencé malgré le sursis restant. Un mec sympa. A sa sortie, on était devenu potes.
Je m’arrêtai donc chez lui en faisant bien attention de ne pas avoir été suivi :

_Salut mec, j’ai un service à te demander !
_Tant que c’est pas à caractère pornographique, y’a aucun problème !
Je lui tendis les CD

_C’est bourré d’infos, il faut que tu me les gardes et que tu fermes ta grande gueule, je peux compter sur toi ?
_C’est pas dans mon style d’aider les condés, désolé !
_C'est pas pour la Cent, c’est pour moi, tu te souviens de mon pote Stéphane, celui en cavale, il lui est arrivé malheur à cause de ces trucs. Puis je suis sûr que t'aimerais pouvoir continuer ton business tranquille, sans histoires…
Il laissa un silence, pour la forme.

_Le temps d’aller chercher du fil et une aiguille pour me coudre la bouche.
_A partir de demain, je t’appelle tous les jours a midi pile. Si je reste deux jours sans t’appeler, tu balances tout sur Internet, ok ?
_Sans problème, cousin. Wazaaa !
_C’est ça, waza !

 

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Je retrouvai Emma comme prévu, à sept heures, devant la tombe de son père. On se balada un peu dans le cimetière, puis on retourna chez moi. Sur le chemin, elle me dit que c’était mon tour de me présenter, alors je lui racontai :

Je m’appelais Sofian BOURAD et j’étais né un sept juillet d’un père marocain et d’une mère mexicaine. Je n’avais jamais connu mes parents car ils m’avaient vendu à la CIA à l’âge de cinq mois. Le personnel de l’ambassade m’avait éduqué, m’avait vu grandir, le bordel entourant la Réunification avait permis des trucs totalement officieux, comme mon "éducation". J’avais d’abord été formé au combat, puis au tir. Avec les années, j’étais devenu une sorte d’«Homme-Cent». A l’âge de onze ans, commençant à comprendre qu'aucune loi ne me concernait vraiment, mon existence n'ayant plus rien d'officielle, j’avais demandé à mes supérieurs un appartement. Durant les deux premières années, l’inspecteur Van Kristenson m’avait pris sous son aile. Puis je m’étais retrouvé seul. Seul avec la rue, que je fréquentais chaque jour. C’est là que j’avais rencontré Stéphane. Sa cavale commença l'année où on me donna mon insigne. J’avais parfois travaillé en équipe avec Van Kristenson. Du trafic de drogue au braquage de banque. De la traque de quinze jours au flagrant délit. Petits dealers de shit et voleurs de voitures, j’aurais parfois pu être à la place de ceux que j’arrêtais !
Puis j’avais tué mon premier homme. Le genre de souvenir qui marque. Je n’avais pas cherché à le blesser. Lorsque je l’avais vu sortir son revolver, le temps s’était arrêté, comme figé dans de la glace. J’avais dégainé le SW8A que je portais à la ceinture et j’avais laissé ces chers Smith et Wesson aller se loger entre les deux yeux du trafiquant. J’avais ensuite joué au poker toute la nuit avec «l’indien» (c’est ainsi que j’appelais Van Kristenson). A l’heure où je m’étais réveillé dans son bureau, il était déjà sur le terrain et l'ambassade en ébullition. Il y avait un paquet à mon nom sur la table avec un Beretta MS 130 série limitée numéroté 2 sur la partie mobile plaquée or. Le reste était chromé et la crosse en bois. Un bijou tiré en cinq exemplaires ! Le tout était accompagné d’un holster et d’un mot : « garde le près du cœur ». Je peux compter sur mes doigts les fois où j'ai retiré ce holster depuis ce jour.
Les années suivantes, j’avais tué beaucoup d’autres hommes, et j’avais vécu, tout simplement.

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_Tu t’es pas fait engueuler par ton beau-père, hier matin ?
_Non, il a beaucoup de réunions en ce moment, il était pas encore rentré. Et toi, quoi de neuf ?
_Boh, rien de spécial. Mon meilleur ami s’est fait assassiner, la Mafia est à mes trousses et j’ai décidé de ne plus manger de raviolis !
_J’ai jamais aimé ça, mon beau-père en vend ! Tu sais, les raviolis Bouzalfa, et ben le Bouzalfa en question… c’est lui !