Futur Proche - Chapitre 6

"Seul est digne de la vie celui qui chaque jour part pour elle au combat." (Johann Wolfgang von Goethe)

Après une bonne nuit de repos bien méritée (une vraie nuit jusqu’au milieu de l’après-midi, cette fois-ci !), je me levai tout requinqué.
La tête que j’avais faite la veille au cimetière méritait bien une explication donc j'avais clairement dit à Emma que je n’étais pas très fort pour trouver des excuses originales et qu'effectivement, j’avais quelque chose à lui cacher… Je lui avais demandé gentiment de ne pas se mêler de ça car cela aurait pu devenir dangereux pour elle. Elle me surprit par son calme et ne fut pas plus curieuse que ça. Après quoi on passa un moment ensemble puis j’allai voir Salem à la Cent.

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Maintenant que j’avais interrogé Salem du coté flicaille, il ne me restait plus pour avoir le maximum d’informations qu’à aller voir mon ami Jay-Jay, du coté de la rue. C'était comme ne le disait pas les journaux l’un des plus grands fighters du pays. Sa réputation n'était plus à faire et lui saurait me dire si mon marchand de raviolis s’était fait remarquer ces derniers temps.
Jay-Jay faisait vraiment parti d’un milieu extrême, les combats clandestins,  la vie cachée de la ville. Personne exceptés les participants, les parieurs et les organisateurs (qui avaient tous quelque chose de légalement reprochable) n’était au courant, pas même la police ni la Cent. Des tournois étaient organisées dans le plus grand secret. Coups non retenus et combats à mort étaient au programme. Pas de paris truqués. Pour survivre, il fallait être fort et rapide.
Mais ce n’était pas à ce sujet que je venais parler à Jay-Jay, et pourtant… Bouzalfa pariait depuis peu, et il pariait gros. « Denis la malice » se battait, et jusqu’à présent… il gagnait !
Les prochains combats auraient lieu le soir même et j’étais bien décidé à aller voir de plus près la tête de mon italien ainsi que celle du beau-papa d’Emma.

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Salle comble, gradins et ring en bois, commentateur, et combattants en train de s’échauffer tels des gladiateurs, la scène se passe ce soir-là dans une ancienne station de métro. Les murs sont noirs, l’ambiance enflammée. Certains parient, d’autres profitent de l'absence d'autorité pour "biznesser". Je suis Jay-Jay qui me guide à travers la foule. Jusqu’à ce qu’on arrive à un gradin du premier rang où je vois deux places libres.
_Tu t’assoies, il devrait pas tarder. Moi je vais aller me préparer pour mes combats. Tu verras, il a un grand nez avec des lunettes, il mesure environ un bon mètre quatre-vingt. Amuses-toi bien !
_Bonne chance.
Dix minutes plus tard, un grand brun avec des lunettes sur un grand nez se ramène et s’assoie sans me dire un mot.

_ Vous pariez ?
Son sourire vicieuxme répond avant lui.
_ Un homme à moi se bat. Je ne parie pas, j’investis !
_Vous me paressez bien sûr de vous. Et si je vous disais que je peux le battre ?
Son manque de réaction m'exaspère un peu. Un brin de mépris dans la voix, il lâche :
_ Tiens donc, vous vous battez ?
_ Pas encore…
Malgré la tension que je ressens à ce moment là de la conversation, il éclate de rire. Je reste aussi calme que possible et lui demande :
_ Savez-vous qui je suis ?
_ Non, mais…
_ Moi, je sais qui vous êtes, c’est là toute la différence.

Un bruit de cloche annonce le premier combat et l'agitation qui l'accompagne ponctue en ma faveur cette étrange conversation. Au fur et à mesure que le temps passe, les débutants laissent place aux érudits, puis les érudits aux spécialistes !
Le premier combat de Gianelli arrive enfin et j’assiste à un carnage. Je vois ce type en tuer un autre dans le silence absolu (car tout le public reste bouche bée) puis l’italien sort du ring en s’essuyant les mains sur son pantalon de smoking. Deux combats sont prévus pour lui ce soir, il ne se refuse rien. Quelques combats ont lieu puis le commentateur indique que le second combat n’aura pas lieu  car son adversaire déclare forfait. Je regarde Bouzalfa, lui sourit puis rejoins Jay-Jay.

Jay-Jay est le genre de mec qui me connaît assez pour savoir quand on ne peut pas me convaincre que j’ai tort, et sa voix est plutôt tremblante quand il demande au commentateur de rectifier son annonce. C'est bien la première fois que j'entends sa voix trembler, mais je le comprends. Un ami à lui a une chance sur deux d'être mort d'ici quelques minutes, et encore, je vous parle de statistiques, la côte des paris étant bien plus forte que deux pour un.
Vu du ring, La salle est bien plus grande que ce que je croyais. Certains rigolent dans le public, d’autres se cachent déjà les yeux. J’enlève ma veste, mon harnais, mon sweat, mon T-shirt, mes chaussures, et mes chaussettes. Je regarde l’italien droit dans les yeux. Il me reconnaît, réfléchit, se dit certainement qu’il ne peut pas me tuer car je suis le dernier à savoir où se trouvent les documents. Mais l’appel du combat est trop fort. Cet homme aime se battre. Il ne regarde même pas son patron.

Ding !

Il s’approche. Son jeu de jambe est presque parfait. Il ne se battra pas avec ses pieds. (Mais il cogne très bien avec ses poings !) Il frappe. Je vole. L'atterrissage est douloureux. Je me relève comme je peux. Il frappe à nouveau, mais je suis coriace. Je ne suis pas du genre à me laisser mourir comme ça. Mais déjà son image se trouble et le choc du coup suivant retentit jusqu’au fond de mon crâne. Je ne regrette rien. Tous ces cris autour de moi. Ça tourne. Tous ces cris... Tous ces cris. Puis je meurs…
«Enfin, le silence» Puis le choc sur le sol ! Le dos d’abord, puis la tête. Ce qui m’étonne le plus, c’est de ne pas être mort. Simplement sourd ! Et en fin de compte ça fait beaucoup de bien. Réflexion faite, le type se bat comme une carpe. Il est efficace, certes, mais tous ses coups sont si prévisibles quand on coupe le son. J’évite son poing. Une fois. Deux fois. La troisième fois mon pied trouve le chemin jusqu'à son menton. C'est à ses pieds de décoller. Je me place dessous et "amortis" sa chute avec mon genou. Il me semble entendre sa colonne craquer. Il est sonné au point de rester au sol, inerte. Mais le combat n'est pas terminé. Je l’attrape d’une main par le cou et le relève. Je sers. Je crois comprendre qu’il m’insulte à mi-voix. Je sers un peu plus. Ses pieds ne touchent plus le sol et ses yeux se gorgent de sang. Une vingtaine de secondes plus tard, sa tête pend sur le coté.

Ding !